Ultima Cordillera 2006 solo

Premier homme à entrer dans la partie centrale inexplorée de la Cordillère de Darwin

D’octobre à décembre 2006, Christian Clot est devenu le premier homme à entrer dans la partie centrale inexplorée de la Cordillère de Darwin (Chili), l’une des dernière terre à ciel ouvert encore à découvrir.

En solitaire, il y a effectué une boucle et deux sommets, qu’il a pu nommer.

Après cinq ans et trois expéditions, il est ainsi arrivé au terme de son exploration des montagnes de la Terre de Feu !

Le projet global

En janvier 2004 Christian CLOT accompagné de Karine MEUZARD et Raphaël ESCOFFIER mène une première expédition en Cordillera Darwin – découverte par les explorateurs en 2002 – qui n’atteint pas les objectifs prévus en raison d’une météo terrible, mais constitue une très bonne reconaissance du terrain.

En mars 2006, une nouvelle expédition est montée, cette fois avec des scientifiques, afin de mener les premières études in situ en Cordillera Darwin et à nouveau d’explorer le centre. Si la partie scientifique se passe assez bien, l’exploration du centre-est à nouveau impossible en raison des conditions météos.

En octobre 2006, Christian Clot repart donc, cette fois en solitaire pour plusieurs semaines d’exploration qui cette fois aboutisse au résultat espéré avec la première exploration du centre de la Cordillera Darwin !

Tout bouge tellement vite que vivre sur ces glaciers donne une étrange impression d’être dans un océan déchaîné où la force des éléments se serait mise sur mode ralenti. Des crevasses qui s’ouvrent et se ferment en une seule nuit, des vents qui nous soulèvent de terre, des chutes de séracs à tout instant… Un terrain qui se meut, qui s’ébroue, s’exprime par tous ses pores…

Terriblement impressionnant, et tout autant fascinant. 

​Le climat

Le grand défi ! Certains scientifiques s’accordent pour dire que la Cordillera Darwin est un nœud primordial qui régit les mouvements d’air de la planète entière : supposition ou vérité ? Néanmoins, la Cordillera Darwin est soumise au climat le plus tempétueux qui soit. Elle est le premier obstacle aux vents venus de l’Antarctique et au point de rencontre du Pacifique et de l’Atlantique. Une confrontation qui ne laisse jamais en paix cet endroit du globe. Les vents peuvent atteindre des vitesses phénoménales, tourbillonnent sans cesse et l’humidité est particulièrement élevée, surtout entre 0 mètre et 1’300 m d’altitude.

Le temps peut changer d’un instant à l’autre, faisant défiler les quatre saisons en une seule journée. Soleil, grêle, neige, pluie, températures « chaudes » ou glacées peuvent se succéder en quelques instants. 

Les vents

Sans doute l’un des aspects les plus représentatifs et fabuleux de cette région. Nous sommes à deux pas du fameux Cap Horn, dans la zone nommée par les marins les « Cinquantièmes Hurlants » par analogie aux « Quarantièmes Rugissants ». Des mots qui représentent bien la puissance dégagée par les courants aériens des cinquantièmes parallèles. Mais ils ne suffisent pas ! Ils manquent de nuances tant la diversité des vents est importante et variée. Les Yamanas, Indiens qui habitaient dans les fjords et sur les côtes de la Terre de Feu avaient plus de trente mots pour désigner les vents. Une richesse de vocabulaire indispensable pour comprendre les liens qu’entretiennent les airs avec les terres du Bout du monde.

Mais les marins sont sur les océans, à 0 mètre d’altitude. Nous, nous sommes en montagne ! Nous subissons ainsi ces conditions aérologiques complexes, ajoutées au terrain d’altitude qui décuplent les problèmes, en créant des couloirs à vents, en accélérant les vitesses, en créant des tourbillons ingérables qui rendent impossible la détermination du sens du vent.

Notre plus grande hantise, et c’est déjà celle des marins, c’est un coup de Williwoo, une rafale coup de poing, très localisée, pouvant atteindre plus de 150 km/h et qui arrive d’un seul coup, sans signe avant-coureur. Il est alors impossible de se tenir debout.

Pourtant, sans ces vents, que serait le Bout du Monde ? Ce sont eux qui changent le climat en un rien de temps et qui ont façonné le terrain. Ce sont eux qui font défiler les nuages, créant mille peintures différentes chaque jour. Ce sont eux qui ont créé le mythe du Cap Horn et de la Terre de Feu. Sans eux, rien ne serait pareil, et la Cordillera Darwin serait explorée depuis longtemps…

Alors, même si vous êtes parfois pénibles, dangereux, mutins ou gênants… Merci les vents !

Histoire

Découverte au XVe siècle par Magellan (P) pour le compte des Espagnols, la Terre de Feu a été longée au Sud pour la première fois par Robert Fitz Roy (UK) en 1830 durant son premier voyage sur le Beagle. Il y reviendra deux ans plus tard, en 1832 avec le naturaliste Charles Darwin, qui donnera son nom aux montagnes et au sommet le plus haut visible depuis le canal. Le premier véritable explorateur de cette cordillère, au début XXe siècle est le père Alberto Agostini (I). Il s’est cependant cantonné aux parties aisément accessibles, à l’Est et à l’Ouest, comme le feront tous les explorateurs après lui. La seule exception est Eric Shipton (UK) qui s’est aventuré en 1962 au centre de ces montagnes, et a réalisé le sommet le plus élevé qui deviendra, en 2004, le Mt. Shipton. Aujourd’hui, personne n’a encore exploré la partie majeure du centre de cette cordillère.

Il faut également noter que, jusqu’au début du XXe siècle, des Indiens vivaient sur les côtes de la Cordillera Darwin. Les Yamanas y pêchaient et chassaient entièrement nus. Il semble cependant qu’ils ne se soient jamais aventurés dans les montagnes, qui étaient des divinités pour eux. Ils ont tous disparu, victimes des colons blancs et des maladies.

Restent les Yamanas, le fameux peuple des canaux qui vivait autour de la Cordillera Darwin, dans les fjords. Ils étaient robustes et sans cesse au pied des montagnes. Pourtant, je ne pense pas qu’ils aient tenté quelque chose. Bêtement parce qu’ils avaient autre chose à faire, occupés à se nourrir ou maintenir le feu, mais aussi parce que ces montagnes étaient le domaine d’une forme de divinité pour eux. Le Dieu Mwono de la montagne et des tempêtes y avait élu domicile. Et l’on ne va que rarement défier les dieux. Enfin, rien, ni dans leur vocabulaire ni dans leurs légendes et récits, n’indique qu’ils se sont intéressés à la montagne ou qu’un téméraire s’y soit attaqué.

Au bout du compte, pour que des Andinistes s’y soient rendus sans que personne ne le sache, ils auraient dû louer un bateau, et cela se saurait ou en posséder un et être de bons alpinistes en plus de bons marins. Y être allé avant les années cinquante, puisque depuis la toile d’araignée des radios militaires repère tout mouvement nautique, prend contact et le signal. Il aurait pratiquement aussi fallu qu’ils ne demandent des renseignements à personne, qu’ils ne s’annoncent nulle part, qu’ils soient discrets comme un agent secret. Bref, qu’ils aient tout fait pour que personne ne connaisse leur passage ! À quoi bon ?

Cela dit, si de telles personnes ont existé, je suis persuadé qu’elles me pardonneront de les avoir oubliées…

Alors, inexploré le centre de la Cordillera Darwin ? Sans doute, malgré le fait qu’il restera toujours « Le » pour-cent de doute. Mais quoi qu’il en soit, cette partie est bien plus inexplorée que tous ces territoires que nous, Européens, avons découverts et déclarés comme inexplorés jusque-là… Bien que des hommes y vivaient depuis des siècles ! Alors au fait, cela veut dire quoi, « inexploré » ? Tout est tellement relatif !

Traversée d'exploration

En BLEU : Trajet pensé et idéal.
En ROUGE : Trajet effectué par Christian Clot et les deux sommets gravis.
En JAUNE : Trajet de la tentative par le Sud, avortée en raison des glaces.
Zone MARRON : Zone des expéditions de 2004 et mars 2006 avec Karine Meuzard, Raphael ESCOFFIER et les scientifiques.
Zone VIOLETTE : Zone jusque-là considérée comme inexplorée. 

 
Dernier camp le plus à l’Ouest : W 070°11.484 / S 54°37.601 
Point atteint le plus à l’Ouest : W 070°10.937 / S 54°37.059

En dehors des fonds marins et de la croûte terrestre, il semble que notre monde soit connu et cartographié. Il reste pourtant encore quelques zones à ciel ouvert non cartographiées où l’homme n’a pas encore posé les pieds. La Cordillera Darwin en fait partie !
 

Personne n’avait encore été dans sa partie centrale, entre les Mont Shipton et Sarmiento, soit une distance de 150 km pour 60 km de large. Effectuer une boucle dans cette partie a permis a Christian Clot d’être le premier à pénétrer dans ces terres, le premier à l’explorer ! 

Evoluer dans ces terres inconnues, sans carte ni information a nécessité un long travail d’observation et souvent beaucoup de retour sur ses pas. Pour 1km parcouru, c’est souvent 3 à 4 km réellement effectués.

Il faut accepter ces nombreux tâtonnements, ces erreurs de route répétitives si l’on veut arriver au but.

 

Entomologie / Biologie

Resp. Jean-Jacques Menier et Christian Clot

Lors de l’expédition 2004, nous avons été surpris de constater qu’un nombre impressionnant d’insectes courait sur le glacier Marinelli. Des insectes de plusieurs centimètres, au corps effilé et avec de longues pattes comme nous n’en avions encore jamais vus sur un glacier. Certes, cela ne veut pas dire grand chose vu nos connaissances restreintes en entomologie. Cependant il n’est pas impossible que le caractère préservé de la Cordillera Darwin ait permis le développement d’espèces uniques.

Ce que nous avons fait :

Selon une procédure mise en place avec le musée d’histoire naturelle, nous avons ramener un certain nombre d’échantillons pour être analysé dans le calme d’un laboratoire. Ces insectes entre 1 et 2 cm, de couleur noire et plus rarement orangée, du groupe des Plécoptères, des insectes analogues ont été récemment découverts sur le Hielo Patagonico.

Ils ont été nommés Dragons de Patagonie. Il est possible que ceux observés en Cordillère de Darwin par Karine Meuzard, Christian Clot durant leur première expédition en 2004, et ramenés par Ultima Cordillera 2006, soient arrivés durant la glaciation du canal de Magellan, voilà 40’000 ans et se soient développés depuis, en totale autarcie. Une espèce passionnante, méconnue, qui intéresse aujourd’hui autant les entomologistes que les chercheurs sur le développement de la vie dans la glace : l’adaptation de ces insectes à la vie dans la glace ouvre de nombreux questionnements. Les échantillons ramenés pour étude sont les premiers au monde venant de ce secteur, séparés du continent par la mer.

Topographie

En partenariat avec l’IGN et Thales Navigation. Resp. José Araos et Karine Meuzard

De nombreux sommets n’ont pas de nom et aucun n’a d’altitude précise. Celles données actuellement ne le sont que par hypothèses. Les rares cartes de la zone sont imprécises et souvent contradictoires les unes avec les autres. Prendre des données de positions et d’altitude est important pour la connaissance ce cordon andin.

Ce que nous avons fait :

Avec un GPS professionnel – Le Pro Mark III – nous avons mesuré l’altitude de points de référence entre autres au niveau de la mer – et enregistré des profils de pentes.

Lors de la seconde partie de l’expédition, nous tenterons de mesurer plusieurs sommets, dont le point culminant, le Mt Shipton.

Ces données, ajoutées à notre documentation préalable et au travail d’imagerie que nous effectuerons sur place permettra d’établir, par recoupement satellite, la première carte précise de la zone ainsi qu’un répertoire des sommets de cette chaîne de montagne. 

Documentation

Resp. Karine Meuzard

Depuis 2001 et notre découverte de la Cordillera Darwin, nous avons effectué un important travail de documentation. Nous avons réuni toutes les cartes et images aériennes, les études scientifiques déjà effectuées dans la zone et les secteurs alentours et établi une liste quasiment exhaustive des expéditions effectuées en Cordillera Darwin.

La compilation de ces données, qui se poursuivra dans les années à venir, permet déjà une meilleure appréhension de ce milieu hors norme et constitue une base de donnée importante, consultable par tous. 

Et maintenant : Suite donnée à nos observations !

Aujourd’hui, suite à aux observations de l’équipe de l’expédition, l’intérêt de mettre en œuvre des programmes d’études à long terme a été démontrée.

Des discussions sont engagées entre la CEQUA, l’IRD, l’UNESCO et notre expédition pour mener un programme plus vaste et à long terme de monitoring de certain glaciers de la zone, en même temps que pour installer une station météo permanente. Un programme particulièrement important aujourd’hui au vu de la position stratégique de la Cordillera Darwin et du fait du manque important de connaissances à son sujet. Il reste cependant à définir les modalités et les moyens pour mettre en œuvre ces études. En effet, l’accès terrestre reste particulièrement difficile et l’accès aérien est presque impossible au vu des conditions aérologiques. Le professeur Américian Mayevski, qui a voulu tenter un carottage presque au même moment que notre expédition l’a bien compris, avec la perte malheureuse de tout son équipement et d’un hélicoptère.

Il est important que les actions soient coordonnées entre les différentes équipes afin de servir la connaissance de ce lieu, et l’expédition Ultima Cordillera, avec l’appropriation de ce milieu, a un rôle important à jouer de ce point de vue.

Ces projets d’études à long terme, issus de nos travaux, sont l’un des plus beaux succès de cette partie scientifique de l’expédition.

Physiologie-Psychologie

Responsable : Professeur Jean-Paul Richalet, Université de Bobigny

Avec : Didier Chapelot, nutritionniste et Cécile Vallet, psychologue.

Il est intéressant de voir l’évolution physique et psychique d’un homme et d’une femme soumis aux conditions extrêmes et à l’isolement. Nous effectuerons ainsi des tests avant, pendant et après l’expédition afin d’évaluer les évolutions de l’un et de l’autre.

Ces tests porteront sur deux sujets principaux :

Nutrition : À l’aide d’un cardiofréquencemètre particulier de la marque POLAR, nous pourrons évaluer entre autres nos dépenses caloriques, et nous connaîtrons d’autre part avec précision, nos apports caloriques. Cela permettra, grâce aux bilans complets avant et après l’expédition d’évaluer la perte de masse grasse et surtout de masse sèche, et ce pour chaque partie du corps dissociée. D’autres points sur les fréquences cardiaques seront également étudiés.

Psychologique : Entre le temps 1, avant et le temps 3, après l’expédition et les évaluations que nous effectuons avec le docteur Cécile Vallet, il y a le temps 2, l’expédition. Au cours de cette dernière, chaque semaine, nous effectuerons les mêmes tests : mnémotechnique, mémoire, langage et d’autres plus subjectif comme nos sensations, prise de décisions… Cela permettra d’évaluer notre évolution durant l’expédition.

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